Située à Laval et à Saint-Quentin en Yvelines, l’ESTACA (École Supérieure des Techniques Aéronautiques et de Construction Automobile) est un établissement privé qui forme des ingénieurs sur le secteur des transports : automobile, aéronautique, spatial, transports urbains et ferroviaires. Nous avons rencontré Marc Peraldi, référent de la filière automobile, qui est par ailleurs utilisateur de véhicules électriques depuis 2018. Il nous éclaire sur les mutations structurelles du marché de l’automobile.

Assiste-t-on à une révolution de la mobilité en général, et de l’automobile en particulier ?
L’automobile fait face à l’un des plus grands défis de son Histoire car il y a des normes en Europe qui sont extrêmement strictes et qui se répandront ensuite dans le reste du Monde. Tout le monde réfléchit comment gérer les déplacements humains dans le futur, pour l’automobile mais plus globalement dans les villes, dans les airs et sur les mers. L’usage de l’automobile chez les jeunes est en train de changer : la propriété n’est plus forcément nécessaire et les considérations éco-responsables changent un peu la donne sur les motorisations. De par l’ensemble de ces mutations, le thermique est appelé à être remplacé par des énergies à faibles émissions de gaz à effets de serre comme l’électrique, l’hydrogène, l’éolien, le solaire…
Sur le marché de l’automobile, pouvez-vous comparer l’électrique et l’hybride ?
Je pense que toutes les énergies vont cohabiter. L’électrique va prendre une grosse part et elle va augmenter car à ce jour c’est la technologie qui permet d’atteindre les normes de CO2 qui sont demandées. Mais je ne suis pas quelqu’un qui ferme la porte à d’autres énergies comme l’hybride… A titre perso je pense que le 100% électrique ne va pas tout remplacer mais je pense que sa part va arriver aux alentours de 50%, contre 15% aujourd’hui. Quant à l’hybride je crois davantage dans le HEV (Hybride non rechargeable) tel que le propose Toyota, car la batterie embarquée est légère et ne vient pas pénaliser la consommation comme le PHEV (Hybride rechargeable) qui embarque une grosse batterie qui alourdit énormément le véhicule et pénalise la consommation de carburant après décharge.
Quels sont les avantages et les inconvénients de l’électrique ?
Commençons par les inconvénients : le prix d’achat des véhicules qui reste cher pour quelqu’un qui roule peu. Et aussi les personnes en appartement qui ne peuvent pas se brancher à domicile. Là effectivement je leur déconseille l’électrique car ils vont être dépendants de réseaux de recharges publics payants qui présentent des prix élevés (de 0,25€ à 0,70 € le kWh). Alors que la recharge à domicile en heures creuses n’est qu’à 0,129 € TTC du kWh, soit un prix de 6,45 € pour une charge à 50 kWh avec laquelle vous pouvez parcourir 300 km !
Nous commençons à avoir du recul aussi sur la durabilité des batteries : raisonnablement, une batterie peut tenir 400 000 km tout en conservant une capacité supérieure à 80% (source Avere France décembre 2024). Quant à l’entretien, c’est clairement beaucoup moins cher que le thermique. Je roule en électrique depuis 2018 et je ne suis jamais allé à l’atelier à part pour les pneus ! Enfin, pas de gaz d’échappement, peu de particules fines, c’est donc tout bénéfice pour la planète.
Oui mais il y a le sujet de la recyclabilité des batteries…
L’idée que les batteries ne sont pas recyclées est une Fake News complète – on recycle comme une voiture thermique 95% des voitures électriques. Pour les batteries, le sujet c’est comment leur donner une seconde vie car les voitures auront une obsolescence plus rapide que les batteries qui pourraient fonctionner pendant plus de 500 000 km, comme on l’a déjà vu dans plusieurs cas aux Etats-Unis par exemple chez Tesla. L’avenir est donc au recyclage des batteries de voitures pour stocker les énergies des maisons (éolien, solaire). Quant aux technologies des batteries, il y a actuellement 3 technologies : les batteries LFP Lithium Fer Phosphate (plus de cobalt), les NMC (Nickel Manganèse Cobalt) et les NCA (Nickel Cobalt Aluminium). Les ingénieurs travaillent sur de nouvelles technologies : les batteries NA (Sodium) ou des batteries solides qui devraient arriver dans les prochaines années. Le défi technologique du moment : les rendre plus denses pour qu’elles prennent moins de place car les voitures à grandes autonomies sont encore trop souvent pourvues de très grosses batteries très lourdes. Les constructeurs les plus à la pointe sont ceux qui font des petites voitures à belle autonomie :
les plus avancés sont Mercedes, BMW, Renault, Porsche, Hyundai et Kia.
Parlons aussi des réseaux de recharges et de la vitesse de charges, comment comprendre cette variable complexe ?
En effet c’est compliqué et pourtant c ‘est essentiel de comprendre. D’abord expliquons à vos lecteurs que la vitesse de recharge dépend de nombreux facteurs endogènes mais aussi exogènes. Dans les V.E. le BMS (Batterie Management System) est l’organe qui va surveiller, optimiser la batterie. Certains constructeurs sont meilleurs que d’autres pour maitriser la température pendant la recharge (les plus efficaces sont les coréens ou les allemands avec leur achitecture 800 Volts). La puissance de charge dépend de plein de facteurs :
la température extérieure, température de la borne, aussi comment le câble est refroidi. La norme c’est 30 mn de 20 à 80%. Certains sont proches de 20 mn, d’autres de 40 mn. Moi je m’arrête à 60% car cela va moins vite au-delà sur mon modèle (Tesla Model 3). D’autres comme les coréennes maintiennent une haute vitesse du début à la fin. La Puissance de charge va de 3,7 kW sur une simple prise à 22 kW sur la plupart des bornes hors domicile, enfin de 50 à 350 kW sur les bornes de recharge ultra-rapides. Si vous voulez une borne rapide chez vous, il faut du courant AC triphasé, ce qui est rare car cela nécessite que votre logement soit intégralement en AC triphasé. Or, la plupart des maisons sont monophasé en AC (Alternative Curent) soit 95% des logements.
Quel regard portez-vous sur les logiciels embarqués, et notamment des voitures autonomes ?
A l’avenir les véhicules parleront tous entre eux afin de rester à bonne distance et ainsi d’éviter des accidents. Mais je pense que cela marchera bien dans les villes et sur les autoroutes. A l’opposé, je n’y crois pas dans les campagnes où il n’y a pas de lignes au sol. Quant aux voitures autonomes, elles sont déjà prêtes technologiquement et des robots taxis circulent déjà en Chine. Mais comme il y a quelques accidents, la prudence est encore de mise, davantage aux États-Unis qu’en Chine et encore plus en Europe. Il faudra attendre encore 10 à 15 ans pour une autonomie totale sur certains tronçons de route. Certains véhicules disponibles pour les particuliers présentent toutefois déjà des fonctions autonomes. La plupart, comme chez Tesla, restent pour l’instant de niveau 2 et requièrent l’attention constante du conducteur et ses mains sur le volant. Mais certains, comme les constructeurs allemands BMW et Mercedes, proposent déjà du niveau 3 (permettant de lâcher le volant et lever les yeux de la route jusqu’à une certaine vitesse). Ils seront bientôt rejoints par Stellantis ou encore le chinois BYD.
En conclusion, comment voyez-vous l’avenir de l’automobile ?
Pour les constructeurs historiques, le défi est énorme car le gâteau se réduit et les parts sont plus nombreuses du fait de l’arrivée de nouveaux constructeurs d’Asie. En parallèle, les néo-consommateurs modifient l’usage de l’automobile et raisonnent en termes de mobilité. Si l’on analyse l’usage de nos véhicules, et que l’on ramène les 15 000 km parcourus en moyenne, cela représente environ seulement 200 heures de conduite par an, pour un budget auto pourtant énorme… L’avenir est donc au partage de la mobilité, afin d’en mutualiser les coûts et donc aussi la masse totale de véhicule afin de limiter l’impact pour la planète. Le marché devra donc s’adapter à cette mutation complète du modèle actuel.
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