L'ecrin du Buisson

UNE CATHÉDRALE & DES MANOIRS :QUAND L’ARCHITECTURE RACONTE L’HISTOIRE SARTHOISE

La première communauté chrétienne s’est constituée au Mans au IVe siècle autour de celui qui fut son premier évêque, un jeune clerc romain venu annoncer l’Évangile dans la cité cénomane : Saint Julien. La cathédrale porte son nom. Une cathédrale comme Saint Julien, c’est un navire qui a accumulé depuis 10 siècles à la fois des richesses et des stigmates : commencée au XIe, elle s’achève sous sa forme actuelle au XVe siècle et ne cessera d’être embellie et restaurée jusqu’à nos jours. Compliqué de résumer une telle œuvre sur quelques pages mais nous vous en proposons une présentation à notre façon, après l’avoir visitée en compagnie d’Anne Chevillon, Architecte des bâtiments de France et Cheffe de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine de la Sarthe. Ce lieu éblouissant pour les connaisseurs en architecture médiévale, est aussi l’occasion de narrer la fabuleuse Histoire de France, dont Le Mans est un beau chapitre.

La cathédrale berceau des Plantagenêts

Alors que les premières cathédrales sont souvent édifiées sur les débris d’un temple gallo-romain, celle du Mans témoigne de lieux de culte bien plus anciens puisqu’elle s’est placée entre un menhir et un dolmen vieux de plusieurs millénaires. Le premier est encore debout dans l’angle sud-ouest de la nef, beau menhir de grès rose haut de 4,55 mètres. Au milieu du XIe siècle, le renouveau spirituel insufflé par la Réforme grégorienne (1073) se traduit au Mans par l’édification d’une cathédrale nouvelle, élevée par l’évêque Hoël. Sa façade occidentale est aujourd’hui intégralement conservée, ainsi que la partie basse de la tour nord et les bas-côtés de la nef, remarquables grâce à leur appareillage de pierres, de calcaire et de roussard. En avril 1120, Hildebert de Lavardin dédicace « la plus belle église de l’ouest » en présence de Foulques et Harembourg, comtes du Maine et d’Anjou. En 1128, leur fils Geoffroy Plantagenêt épouse Mathilde en la cathédrale Saint-Julien, petite fille de Guillaume le Conquérant et héritière du royaume d’Angleterre. Leur fils, le futur roi d’Angleterre, Henry II, y est baptisé. Les Plantagenêts font de Saint-Julien la cathédrale des grands événements de la dynastie.

Un nouveau style apparait : le gothique rayonnant

En 1217, Philippe Auguste autorise les travaux de modernisation. L’évêque Maurice fait élever le porche sud, voûté d’ogives, dont la décoration sculptée évoque celle du portail Royal de Chartres, cerné des mêmes statues-colonnes représentant les ancêtres du Christ. Ce portail est connu sous le nom de « cavalier » ou de la « pierre au lait ». Mais chanoines et évêques ont un seul modèle en tête : la cathédrale de Bourges, dont les travaux sont déjà très avancés. Pour agrandir le chœur de Saint-Julien, ils obtiennent l’autorisation de s’étendre au-delà des murs de la cité, aujourd’hui place des Jacobins. Et l’avènement de l’évêque Geoffroy de Loudun, en 1234, marque l’histoire gothique architecturale de la cathédrale. Fortuné, il fait venir au Mans des architectes issus des milieux normand et parisien. Les maîtres de Coutances et de Bayeux se succèdent à la tête du chantier jusqu’en 1245. Ils élèvent les chapelles et le double déambulatoire. Les fenêtres mancelles, qui rappellent celles de Notre-Dame de Paris, livrent le nom de leur concepteur : Jean de Chelles. Cet architecte, maître d’œuvre de la cathédrale de Paris, est attentif aux formes préexistantes. Il déploie à Saint-Julien tout son génie afin d’assurer la cohérence de l’ensemble, dans le style gothique rayonnant. Les arcs-boutants du chevet, en Y renversés, forment un pont vertigineux où se conjuguent sciences de l’équilibre et de lumière. Consacré en avril 1254, le nouveau chœur culmine à 34 mètres, 10 mètres au-dessus du reste de l’édifice ! La volonté des ecclésiastiques de rehausser le transept à la hauteur du chœur se concrétise 176 ans plus tard grâce à la volonté de Charles VI. En 1430, la nef romane et le chœur gothique s’épousent parfaitement. La fin de ces travaux fixe définitivement le visage de la cathédrale mancelle.

Le chœur et les 13 chapelles en couronne écrins de trésors d’œuvres d’art

Enfin, le chœur de Saint-Julien est bien plus imposant, avec ses 13 chapelles rayonnantes. Le résultat est époustouflant ! Voyez ce double déambulatoire et ces chapelles rayonnantes en forme de couronne. L’ensemble est éclairé par cent huit baies dont certains vitraux des XIIe et XIIIe siècles à dominantes rouges et bleues. Dans la grande chapelle axiale levez la tête vers le plafond de la chapelle du chevet dédiée à la Vierge et vous verrez un incroyable concert céleste de 47 anges musiciens. Ils rayonnent de couleurs chatoyantes, de lumières et d’harmonie. Ils utilisent 24 instruments dont un mystérieux. Ce sont des instruments en usage au Moyen Age et dont certains, comme l’échiquier, sont aujourd’hui disparus. D’autres sont d’origine orientale tel le rebab ou le luth. Cette vaste peinture qui couvre la voûte a été réalisée au XIVe siècle sur la commande de Gontier de Baigneux, évêque du Mans de 1367 à 1385.  

Un panorama exceptionnel de vitraux du XIe siècle jusqu’à nos jours

La nef présente un très important ensemble de vitraux romans. L’Ascension a été réalisée à la fin du XIe ou au tout début du XIIe siècle : c’est le plus ancien vitrail conservé dans un édifice religieux. On y voit la Vierge et les Apôtres assistant à la montée au ciel du Christ, aujourd’hui disparue. Le dépouillement du décor, l’éclat des couleurs donnent vie et modernisme à cette œuvre majeure symbole du foyer artistique manceau sous les Plantagenêts. Entre 1230 et 1270, les communautés de métiers enrichissent cet ensemble. En témoignent les vignerons, les drapiers, les boulangers ou les « changeurs d’Allonnes », représentés dans les vitraux du chœur. La Grande rosace du transept nord a été créée pendant la guerre de Cent Ans. Au début du XVIIIe siècle, les artisans verriers manceaux réalisent pour la sacristie une verrière en verre incolore selon la mode de l’époque avec une remarquable maîtrise technique. En 1838, l’architecte Delarue fait dessiner tous les vitraux anciens de la cathédrale et de nouveaux panneaux sont créés comme les verrières néo-gothiques de la chapelle de la Vierge. Au XXe siècle, Saint‑Julien s’enrichit de nouveaux vitraux dont la “Vie de Jeanne d’Arc”, placée dans la chapelle du même nom, qui manifeste la vitalité et le renouveau des ateliers verriers manceaux dans les années 1920.

Les monuments funéraires

L’usage d’inhumer dans la cathédrale évêques et grands personnages s’établit au XIIe siècle. Geoffroy Plantagenêt, les princes de Luxembourg et de Bourbon, les Du Bellay, y ont été inhumés. Seules deux sépultures, aujourd’hui dans la chapelle des fonts baptismaux, ont été épargnées par les Protestants en 1562. Érigé en 1472, le tombeau de Charles Ier comte du Maine est l’œuvre du sculpteur italien Francesco Laurana. Celui-ci fut le premier à faire entrer l’art de la Renaissance, dès la fin du XVe siècle dans un monument de l’Ouest de la France. Le tombeau de Guillaume du Bellay, élevé en 1546, est attribué à Pierre Bontemps, rendu célèbre par sa collaboration à l’exécution du tombeau de François Ier. Lors des funérailles de Guillaume du Bellay se rencontrent au Mans pour la première fois, les fondateurs de la future Pléiade : Jacques Peletier du Mans, Pierre de Ronsard et le poète Joachim Du Bellay. Les évêques de cette époque, cultivés et mécènes, propagateurs de l’art italien dans le Maine, mettent la cathédrale au centre des mutations de la Renaissance.

Les grandes orgues

En 1519, Simon Hayneufvre, architecte et orfèvre originaire du Maine, très influencé par l’art italien, dessine le buffet de l’orgue, tandis que Pierre Bert réalise la tuyauterie, composée de 4 500 pièces. On peut toujours admirer, au bras sud du transept, l’un des plus beaux buffets de la Renaissance.

Les stalles de la sacristie victimes du pillage de 1562

La cathédrale possédait au XVIe siècle 96 stalles, réparties en deux ensembles de 48 de chaque côté du chœur. En 1562, la cathédrale est mise à sac par les Huguenots (protestants) qui s’en prennent au jubé, détruisent les tombeaux, les statues, les autels, les sculptures, les vitraux, les stalles, les reliquaires, les orgues, le sépulcre du Christ, et à l’extérieur du monument, les statues des galeries du chœur, de la nef et de la grosse tour. Les chanoines décident rapidement la réfection des stalles et dès 1563, les moines de la Couture, puis, en 1571, ceux de Saint Vincent, offrirent du bois pour leur confection. Le travail fut terminé en 1576. Leurs scènes représentent la vie du Christ. Leur intérêt repose sur l’admiration suscité par ce travail de sculpture en chêne. Elles furent mutilées plus tard sous l’évêque Grimaldi en 1768, puis recouvertes en 1830 d’une couche de peinture jaune sous l’évêque Carron. Enfin en 1855, sous l’épiscopat de Mgr Nanquette, les dossiers de ces stalles furent définitivement démontés et 28 d’entre eux furent dressés sur les murs intérieurs de la sacristie, incorporés dans un meuble en menuiserie : il ne restait que 69 stalles y compris d’autres qui furent placées dans le déambulatoire, et on en décrit actuellement 50 au total.

Le Mans, principal foyer de la sculpture en terre cuite de l’ouest de la France.

Gervais Delabarre et Charles Hoyau (tous les deux morts en1644) sont des artistes manceaux dont les œuvres sont représentées dans la cathédrale Saint-Julien. Le Mans était en effet dans la première moitié de XVIIe siècle, le principal foyer de la sculpture en terre cuite de l’ouest de la France, un héritage transmis par les artistes italiens du Val de Loire.

Anne Chevillon

La ville du Mans qui œuvre aujourd’hui à son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco peut être fière de détenir l’une des plus belles cathédrales de France. Une cathédrale éclairée dans le chœur par cent huit baies, du jamais vu pour l’époque ! Tout, dans ce magnifique mouvement ascensionnel, sublimise cette architecture qui fait jaillir la lumière. Nos remerciements à Anne Chevillon, Architecte des bâtiments de France et Cheffe de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine de la Sarthe. Elle nous a guidé dans ce beau reportage et nous a transmis des documents synthétisés dans cet article (Focus Cathédrale St Julien, document écrit par le service Tourisme et patrimoine du Mans, dans le cadre du label Ville d’Art et d’Histoire dont bénéficie la ville). www.lemans.fr/patrimoine 

Bruno Réchard

Bruno Réchard, rédacteur en chef du Petit Sarthois

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